mardi 5 novembre 2019

Éoliennes : vive le vent, vraiment ?

Une enquête journalistique très complète du journal La Montagne reprise par l'Echo Républicain ( Chartres) le 2 novembre 2019. Le reportage concerne le parc éolien du Chemin de La Ligue dans l'Allier qui a été racheté par le promoteur JPee...
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En France, 8.000 éoliennes terrestres fournissent environ 6 % de l’électricité. L’énergie issue du vent est portée par un soutien massif de l’État, qui s’est fixé des objectifs de croissance élevés dans le cadre de la transition écologique. Mais sur le terrain, les résistances persistent. Tout comme les dérives du modèle de développement impulsé à l’échelle nationale, au début des années 2000. « Ici, ça pourrait être le paradis… » Depuis la terrasse de sa maison de Laprugne, dans l’Allier, Claude Scheffer balaie le paysage d’un regard désolé. Devant lui, les arbres se succèdent en rangs serrés, sur une pente abrupte, jusqu’à la ligne de crête toute proche. Là, à la jonction de la végétation et du ciel, se détachent les quatre mâts blancs qui tourmentent le retraité auvergnat. Quatre parmi les huit implantés depuis 2011 sur le chemin dit « de la Ligue », un sentier caillouteux qui serpente sur trois communes mitoyennes. « L’éolienne la plus proche est à 530 mètres d’ici (la distance minimale réglementaire est de 500 mètres, NDLR) », précise Claude Scheffer. Ce jour-là, pas un souffle ou presque, les pâles tournent au ralenti. Mais dès que le vent d’ouest se lève, « c’est infernal. On entend le bruit d’un avion non stop. Impossible, par exemple, de dormir les fenêtres ouvertes ».

Un impact sonore « supérieur aux normes »

A force de recours, le septuagénaire a fini par être écouté. Des appareils de mesure ont été installés chez lui. Le verdict est tombé à l’été 2018, via un courrier des services de l’État : l’impact sonore est bel et bien supérieur aux normes en vigueur. Sept ans après l’irruption des turbines, l’exploitant a donc été sommé de mettre en place un « plan de bridage acoustique » sur ses installations. Pour quel résultat ?

« J’ai eu l’impression que c’était mieux pendant quelques semaines, mais ça n’a pas duré. Il faudrait que je les relance. A la longue, on s’épuise. On finit par lâcher. »

Bataille après bataille, Claude Scheffer a accumulé lettres et documents, compilés dans un épais dossier. Il en exhume les conclusions d’une estimation effectuée par une agence immobilière. Sa propriété a été évaluée entre 130 et 135.000 euros. Avec une nuance de taille, couchée noir sur blanc : « Il est bien évident que l’environnement, avec les éoliennes proches créant des nuisances sonores, risque de créer une renégociation de l’ordre de 15 à 20.000 euros en moins »
« Voilà où j’en suis. J’ai tous les inconvénients des éoliennes et pas un seul avantage. »

Dans les hameaux environnants, plusieurs habitants partagent son amertume. Le bruit est souvent pointé du doigt. Un agriculteur se plaint même que ses vaches donnent « moins de lait, et du lait de moins bonne qualité », lorsque les turbines fonctionnent à plein régime.

La manne espérée n’est pas au rendez-vous

« Les opposants, on les connaît, ce sont les mêmes depuis le début. On ne les fera pas changer d’avis », évacue Jean-Marcel Lazzerini, le maire de Ferrières-sur-Sichon, où sont implantées deux des éoliennes du chemin de la Ligue. L’élu, déjà en poste en 2011, a soutenu le projet « pour des raisons environnementales ». Alléché, aussi, par les promesses de retombées pour son village.
Mais lui, comme ses homologues de Saint-Clément (deux turbines) et de Laprugne (quatre), a vite déchanté : la réforme de la taxe professionnelle est aussitôt passée par là, privant les communes d’une part importante de la manne annoncée, au profit des structures intercommunales et départementales.
« Pour nous, c’était le chantier et le jackpot du siècle. On a eu le premier mais pas le second », résume Fernand Boffety, maire de Saint-Clément depuis vingt-deux ans. L’édile a d’ailleurs conservé précieusement un courrier du sous-préfet, daté de décembre 2006. La lettre détaille les ressources fiscales escomptées.
« Regardez, c’est écrit là : 80.000 euros pour Laprugne, 44.000 pour Ferrières-sur-Sichon et 52.000 pour nous. Finalement, on touche à peine 5.000 euros chaque année. On est loin du compte, comme nos voisins. Pas sûr que j’aurais signé pour si peu... » Les sentiments contrastés qui soufflent sur la Montagne bourbonnaise donnent une bonne idée du contexte à l’échelle nationale. Côté pile, l’énergie éolienne a le vent dans le dos. D’après les dernières données de France énergie éolienne (FEE), l’association de la filière, le pays comptait fin juin 7.950 turbines capables de produire 15.800 mégawatts.


Le gouvernement a fixé un objectif (très) ambitieux de 2.000 MW de plus par an pour atteindre 35.000 MW en 2028. FEE loue une « croissance continue » et met en avant les résultats flatteurs d’un sondage qu’elle a elle-même commandé l’an dernier. Selon cette enquête Harris Interactive, 73 % des Français ont une bonne image de l’éolien.

70 % des projets visés par des recours

Côté face, néanmoins, les résistances persistent. Sept projets sur dix font l’objet de recours. Des procédures à rallonge qui provoquent retards en cascade et même annulations – comme dans le cas du parc envisagé à Saint-Clément-de-Valorgue (Puy-de-Dôme), tout juste balayé par le Conseil d’État.

FEE impute ces accrocs aux « positions dogmatiques d’une poignée d’organisations qui se bornent à répandre de fausses informations et à jouer sur les peurs et les angoisses ». Le camp des opposants, ou tout du moins des sceptiques, ne se limite pourtant pas à ce petit cercle d’extrémistes.
Dans un rapport consacré en mars 2018 aux énergies renouvelables, la Cour des comptes dresse, elle aussi, un état des lieux mitigé. Le recours aux ressources « vertes » doit permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre ? « La prépondérance de l’énergie nucléaire conduit à ce que l’électricité en France soit déjà décarbonée à 98 % », souligne en retour la juridiction.

Des trous dans la raquette

Le rapport déplore notamment « l’absence de stratégie industrielle française » en matière d’éolien – « 80 % du marché national est couvert par quatre groupes étrangers », ce qui génère des importations massives ; pointe des retombées sur l’emploi « réelles », certes, mais « bien en deçà des objectifs initiaux » ; et regrette que le développement du secteur ait été « exclusivement financé » jusqu’en 2017 via un dispositif de soutien particulièrement coûteux pour les finances publiques.

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